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interview parue dans Travel In Blues n°39. Octobre 2000 |
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Le blues du Loup Blanc:
Roland Malines
Fervent adepte du blues acoustique et du fingerpicking, Roland Malines égrène ses arpèges inspirés de Gary Davis et Robert Johnson du côté de la canebière. Il sort aujourd'hui son premier album autoproduit. Rencontre avec le Loup Blanc de Marseille. |
Travel In Blues :
Tu as commencé comme guitariste de jazz ?Roland Malines : Non, j’ai commencé par le blues, en 1967. J’avais la guitare de mon grand-père. Je voulais absolument en jouer et j’ai acheté une méthode. Ce qui m’intéressait, c’était le folk et le blues. C’était l’époque où les campus américains redécouvraient les Gary Davis et autres.
TiB : Quels sont les disques de blues qui t’ont le plus frappé ?
R.M : Dans les années 50, mon père était interprète à l’U.S Air Force. Il amenait des disques à la maison, il aimait ce genre de musique, comme son père, qui jouait lap-steel sur la fameuse guitare avec laquelle j’ai commencé. Il jouait aussi d’un banjo 6 cordes, à plat sur les genoux, des musiques à la mode dans les années 20, 30, hawaïenne, américaine. Je me souviens d’une partition, c’était un titre de Sol Hoopi. Mon grand regret, c’est de ne pas l’avoir connu, il paraît qu’il jouait très bien.
TiB : Tes premières influences ?
R.M : J’ai été frappé par cette musique, mais j’étais trop jeune pour savoir qui était qui. A 12 ans, j’ai complètement craqué sur Big Bill Broonzy. Plus tard, dans les années 70, Rory Gallagher ou Johnny Winter. Mon 1er 45 tours, c’était Guitar Boogie, d’Arthur Smith, avec Banjo Rag en face B.
TiB : Tu as été aussi influencé par le jazz, des gens comme Django Reinhardt ?
R.M : Bien sûr. On écoutait de tout à la maison. Mon père écoutait Django aussi bien que le concert de swing du Carnegie Hall en 38.
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Pascal Mesnier, Roland Malines, Magic Buck |
TiB : Aujourd’hui, tu joues exclusivement en acoustique. C’est un choix artistique ou économique ?
R.M : C’est une nécessité. Je ne dis pas que le blues-rock c’est mal mais ça m’agresse un peu. C’est pas l’esprit blues à 100%. Et puis le picking, j’ai toujours voulu faire ça. J’ai rencontré Jean-Michel Carradec, on était voisins. Il avait commencé à se faire un nom, on le voyait même à la télé avant ce stupide accident de voiture. C’était un excellent picker. Quand il jouait, quelque chose ressortait en moi. La même chose qu’avec les disques américains de mon père. Je ne me suis mis au picking qu’en 92, en achetant une vidéo d’Alain Giroux. Mais c’est aussi parce que je me suis retrouvé seul.
TiB : Avec qui jouais-tu avant ?
R.M : Je jouais en duo jazz, avec un ami, Robert Lucciardi, qui est mort il y a un peu plus d’un an. Ce gars-là jouait magnifiquement, il avait une classe internationale. Du niveau de René Thomas, un des plus grands guitaristes de jazz. Robert m’a appris la rythmique jazz. Je jouais donc rythmique et Robert prenait les chorus. On a écumé la Côte d’Azur pendant 5 ans. Et Dexter Gordon est venu à Marseille. Robert lui servait de chauffeur. Quand Dexter l’a entendu jouer, il lui a dit : " Toi tu joues avec moi ". ça a provoqué une telle jalousie dans le milieu jazz marseillais qu’après le départ de Dexter, Robert a été mis à l’index. Et comme j’étais son pote, j’ai été mis à l’index aussi. Il en a fait une dépression et n’a plus jamais joué. Dommage. Ç’a été une grande perte. Moi j’ai continué, mais je n’ai jamais pu m’intégrer dans le milieu jazz marseillais. J’ai laissé tomber pour revenir à mes premières amours : le blues. En picking, et en slide, aussi, un peu. J’ai donc bossé la cassette à Giroux pendant un mois. C’est à ce moment qu’est sorti le Unplugged de Clapton, provoquant un véritable boum. J’avais décidé de jouer acoustique avant, mais je me suis dit : " Ce train là, Roland, il faut pas que tu le rates ". J’ai donc travaillé pendant un mois, jour et nuit, je ne dormais ou ne mangeais que quand je n’en pouvais plus.
TiB : Tu as donc appris à la dure ?
R.M : Au point de m‘en démonter l’épaule droite. J’ai été bandé et sous cachets pendant un mois. Quand j’ai repris la guitare, toc ! J’avais choppé l’indépendance. Evidemment, j’ai intégré les acquis antérieurs. Je suis content parce que j’ai bouclé la boucle. Je suis arrivé à ce que je voulais en faisant un énorme détour. Mais ça m’a permis de bosser l’harmonie, ça m’a donné une approche musicale plus sérieuse. Je fais mes arrangements, je ne joue jamais ce que jouent les autres. Je fais ma musique.
TiB : Qui reprends-tu dans le répertoire traditionnel ? Tu ne puises pas uniquement dans le pre-war blues ?
R.M : Non, j’aime aussi beaucoup la country music, le zydeco. Tout cet idiome musical m’interesse. Boogie, swing, rock & roll – attention, je parle de celui des années 50 –le jazz des années 60, mais aussi celui des années 30, là où on ne sait plus trop si c’est blues ou jazz.
TiB : Et tu composes aussi. Comment te vient l’inspiration ?
R.M : T’es là devant ta page blanche, et ça peut venir n’importe comment. Ça te surprend, ou parfois tu vas le chercher. C’est un travail sur soi.
TiB : Tu ne composes qu’en français ? Tu n’as jamais composé en anglais ?
R.M : Ouais, mais c’est vieux, et puis c’était bidon. De toute façon, je ne suis pas Anglais.
TiB : C’est aussi pour la compréhension ?
R.M : Bien sûr. Je trouve plus intéressant que les gens comprennent.
TiB : Il y a des titres en français sur ton CD ?
R.M : Il n’y en a qu’un, des frères Balfa, Travailler C’Est Trop Dur. Sur le prochain, il n’y aura que des compositions, en français.
TiB : Parles-nous un peu de ton disque…
R.M : En fait, ce sont des titres que j’ai appris avec Jeff Navennec. Il joue très très bien. Il a une culture ! Il joue tous les pickings, tous les open tunings, c’est vraiment un monstre. En 95, on a fait un duo qui s’appelait Mojo Hand, un super duo de country blues que j’espère bien reprendre un jour. Ce type, je l’ai vu jouer toute l’après-midi sans discontinuer. C’est une discothèque vivante. Il a vraiment les bons doigtés, les bonnes techniques. Lui et moi, on a écumé la côte ensemble. Malheureusement, il a du quitter la région. J’ai donc continué seul avec le même répertoire, que j’ai étoffé de nouveaux morceaux. J’en ai choisi quelques-uns pour graver cet album sur lequel je joue live dans le studio, exactement comme en concert.
TiB : Gary Davis et Robert Johnson reviennent souvent sur ce CD ?
R.M : J’adore le picking, le slide, c’est normal de s’intéresser à ces deux-là. Mais je ne joue pas les originaux, je fais mes arrangements. A partir de la grille, ou en changeant du tout au tout, je refais ma cuisine, j’applique mes recettes, en mélangeant blues, jazz ou autres.
TiB : Etonnant cette présence du jazz dans un jeu en picking, non ?
R.M : Rien n’empêche de glisser habilement quelques arpèges jazzy. Robert Lockwood Jr en a montré un magnifique exemple ici-même l’autre soir, tout en jouant du Robert Johnson.
TiB : Tu évoquais à l’instant un prochain album en français. Tu as déjà le matériel ?
R.M : Oui, j’ai écrit 27 chansons en 6 mois.
TiB : Tu seras seul à la guitare ?
R.M : Non, j’ai des accords de principe avec des musiciens, mais je ne peux les citer tant que ce n’est pas fait.
TiB : Parles-nous un peu de la scène marseillaise…
R.M : Il y a peu ou prou de blues acoustique. Aujourd’hui c’est surtout blues-rock, rock, reggae, ragga, rap et autres hip-hopperies. Certains sont des copains. J’aime bien le Massilia Sound System, ils sont délirants. Mais c’est pas ma musique.
TiB : Finalement, tu semble être le seul à pratiquer de ce genre à Marseille. N’as-tu pas le sentiment d’être un peu isolé ?
R.M : Je crois bien être le seul. Il y a eu des pickers sur Marseille, mais plus aujourd’hui. Le dernier à ma connaissance, c’était Jeff Navennec.
TiB : Quand tu joues là-bas, quel est l’accueil du public ?
R.M : Chaud. J’ai un public d’habitués. Dans les bars, on me demande "Quand est-ce que tu viens jouer ? " Ils m’aiment bien, me respectent en tant que musicien, ils aiment ma musique, qui convient très bien à ce genre d’endroits.
TiB : Y a-t-il un autre guitariste qui t’impressionne, avec qui tu aimerais jouer ?
R.M : Tout le monde m’impressionne. Il y a 2 choses : l’habitude, qui fait qu’on est pas si impressionné que ça, et la passion, qui fait qu’on l’est toujours.
Propos recueillis par Phillipe Sauret au festival Blues Passions de Cognac, le 30 juillet 2000.
Discographie :
Contact : www.loupblanc.net Rolandmalines@aol.com 06 63 83 07 09